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1Monsieur, d’autant que ie n’ay rien de si particulier en ce monde que votre service ni de
2tant recommandé que le non de Gordes, ie reçoy avec voz nouvelles ung tel heur et contantement
3qu’il est aisé à iuger que l’aumosne que vous me faictes de m’en départir est très bien employée.
4Quant à moy, monsieur, si ie m’avance iusques là de vous faire part de celles que i’entends
5en ceste court, sans considérer que vous en avés comme la teste rompue d’ailleurs,
6c’est soubz la condition de serviteur que ie vous suis en laquelle ie me veux continuellemant
7exercer, bien marri que ce ne peult estre pour asteure aussi bien par effect comme par
8letres et par bonne volonté ; et en attandant que Dieu me face la grâce d’en venir
9là, je vous diray des nouvelles. Premièremant de monsieur de Garguas et de messieurs
10ses compaignons, qui se portent bien à soulhaict, Dieu mercy. Sans ung malheureux
11mal de dentz qui m’a faict garder le lict troys iours entiers, je leur eusse faict
12compagnie au Landy avec ung coche que Monsieur de Montmorin me prestoit.
13Je croy qu’ilz auront faict le voyage sans moy. Au reste, quant à la court, c’est la
14mesme incertitude qu’on y a veu de tout tamps : auiourdhuy, paix universelle,
15demain, guerre généralle. Si scay-ie de bonne part que les magestés très chrestienne
16et catholicque tendent toz deux à la paix, si d’adventure elles n’ont de ministres
17qui désirent plus à l’ung qu’à l’autre, soit que ce soit ceulx qui s’attaqueront à nous
18n’auront pas faulte de partye si la guerre est. Le roy et Monsieur veulent gratiffier
19monsieur d’Hourche d’une bien fort honorable charge, tant pour ce qu’il ha cet
20honeur de vous apartenir de si près, comme de la bonne opinion qu’ilz en ont, mais
21cela est bien certain car ie le tiens de persones de bon lieu qui en ung besoing ne
22le congnoissent que bien peu et à ce que i’entens, ce sera en place où vous aurés bien moyen
23de faire pour luy. Je ne voudroy pas iurer que les mil homes que scavés ne fuscent
24au premier iour contremandés. La reyne, mère du roy, fust hier entretenue le
25long de son disné par monsieur d’Hourche sur ung subiect qui vous touche
26et pour n’estre estimé flatteur, ie ne diray point la responce que j’entrouys de mes
27oreilhes, tant y a que ce qu’on fera contre en ung an, il sera deffaict en ung jour,
28et fault que voz ennemis confessent qu’ilz ne scauroyent mieux perdre le tamps
29que de vous en cuyder prester, et trouveront touiours, à mon advis, les volontés
30de leurs magestés fort peu disposées à leurs factions et menées.
31Mais je laisseray ce propos pour vous dire que le sieur admiral d’Angleterre
32[v°] avec toute sa trouppe, a esté merveilleusemant bien receu, et n’estoit pas fils de
33bonne maison celuy des princes et segneurs de ceste court que ne leur ha faict
34festin. Toutesfoys, il me samble que monsieur de Guise ne s’en est point mêlé.
35Ilz ont eu de fort beau présans du roy. Ilz sont partis ce jourd’huy au matin,
36ce n’a point esté sans que la reyne, mère du roy, n’aye envoyé monsieur de Froze
37s’il verroit parmi eux quelque belle guilledinne ; toutesfois il y en ha peu et
38ce qui y est extrêmemant cher : trois cens escus, deux cent escus les moindres,
39et toutes assez foibles et maigres. Je vous diray bien que noz Anglois ont
40esté honorablemant traictés par deça que monsieur le maréchal de Montmorancy
41ne l’a pas esté moings par delà et seroit long à vous racconter les magnifisenses
42et libéralités de quoy la royne d’Angleterre ha uzé. Au reste, pas ung mot
43du mariage de Monsieur le duc et de la niepce et rien que de la Ligue
44jurée au grand mescontantemant de certains Escossois entre lesquelz
45ung segneur du païs qui ne veult pas estre congnue, m’en dict amplemant ce
46qu’il en pençoyt. Cela seroit long à vous écrire. Il me dict que la royne d’Escosse
47se portoit fort bien et qu’on l’a changée du lieu là où elle estoit, pour estre
48mieux et moing prisonière, que la royne d’Angleterre luy promet des montagnes
49d’or. Je laisseray l’Escosse pour vous dire que la royne, mère du roy, ha esté
50bien fort mallade et despuis deux iours qu’elle est relevée, elle re-
51commance des plus belles à faire les cornées qui estoyent occasion de
52sa malladye, de laquelle il samble qu’elle ne se ressouvienne plus. Je prie
53à Dieu que ce soit avecque raison et avec la santé qui occupe la place
54par longues années. Ilz ne font qu’aller et venir de Madri à St-Mor, au Tuilleries,
55à Paris où ilz ont ce iourdhuy disné, souppé aux Tuylleries, couché à Madri. Le
56conseil a esté tenu tout ce matin. messieurs les présidans et echevins de la ville
57appelés, ce pourroit bien estre pour les finances ; toutesfois, ie ne scay si ce seroit
58aussi sur des nouvelles qu’on dict qui sont venues auiourdhuy de Flandres, que le
59duc d’Albe est extrêmemant fort. On parle de dix et huict mille chevaux, et
60force infanterie, mais cela n’est pas bien seur. Il y en ha qui disent qu’il y va
61ung grand nombre de Francès contre, de façon que comme on parle de l’ung,
62on n’oblye pas l’autre. Le tout, à mon opinion, plus accompagné de mensonge que de vérité.
63[f° 188] On parle que le roy après la Saint-Jehan yra à Lions en Normandye pour chasser
64et veoir le beau bastimant et que les roynes et Monsieur demeureront en ces quartiers.
65Nous verrons ce qui en sera. Je croy, monsieur, que vous aurés entendu la querelle
66de monsieur de Méru et du cappitaine Gua, fondée, à ce que i’entends, sur de l’argent
67de la paume, dont le conte de Maulevrier estoit répondant pour monsieur de Méru.
68La partie, à ce qu’on dict, faicte à poste, comme le cappitaine Gua demandeyt
69instamant l’argent au répondant et le répondant à l’autre monsieur de Méru
70en fin, ie croy qu’il refuza de payer et non pas sans raison et des responces
71et autres ayant mis la main au poignard, ont dict que le cappitaine Gua puis après
73ne peult moings faire que de metre l’espée au point. Je croy que tout est d’accord
74mais cela ha apresté à parler à beaucoup de gens qui en disent leur ratelée
75diversemant. Je ne vous veux pas celer aussi (monsieur) une chose estrange qui est
76arrivée ces iours passés en ceste ville de quelques petis enfans de quatre
77ans qu’on ha trouvés mort par cy par là, estans fendus le long du ventre
78et les entrailles ostées. Je le dis après des gens de la court de parlemant
79qui m’ont asseuré l’avoir veu, au grand scandalle de tout le peuple. On
80en accuse quelques Italiens et de faict il y en ha des prisoniers au Chastellet.
81On fit crier l’autre iour par la ville que qui auroyt perdu des petis enfans
82qui s’en vint là. Je ne vous la feray plus longue si ce n’est pour vous dire que
83Madame scayt très bien choisir son parti d’estre asteure à Laval pour éviter
84l’extrême challeur de la quelle ie m’asseure que vous avés encore moings de faute
85là que nous icy. Messieurs de Laval et de Veynes se font fort longuemant
86attandre icy, mais encore sera-ce assés tost si c’est en bonne santé qu’ilz viennent.
87Quant à monsieur votre lieutenant, il aymeroit mieux mourir que de faillir
88à vous tenir bonne compagnie. J’ay opinion qu’il y boit fred, de quoy ie luy porte
89envye. Monsieur, il fault, s’il vous plaict, que vous me fassiés raison de madamoiselle
90de Saint-Pris, qui tient ses grands iours en sa maison ; de cent lettres que ie luy ay écrit,
91je n’ay pas eu ung mot de reponce. Monsieur, je vous suis très humble serviteur
92et prie à Dieu qu’il luy plaise vous tenir en sa saincte garde. A Paris, ce XXIIe
93de juing 1572.
94Vostre très obéissant et fidelle
95Serviteur
96Tailladet
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